Made in Chablais ​: CAProd face à la crise sanitaire

Samuel Maïon-Fontana est le Directeur Général de CAProd, société de production audiovisuelle implantée à Allinges.

Pour Made in Chablais, il s’exprime sur la situation très délicate du secteur audiovisuel, complètement paralysé par cette crise sanitaire. Il nous parle également du contexte local avec l’émergence de nombreuses initiatives dans le Chablais.

MIC : Pouvez-vous poursuivre votre activité ?

Samuel Maïon-Fontana : “Notre secteur est celui de la production audiovisuelle et il est complètement paralysé, avec quelque 300’000 professionnels qui attendent et l’ensemble de l’industrie qui se dit en difficulté. Toutes les productions ont été soit annulées, soit repoussées sine die. Nous avions par exemple plusieurs tournages prévus pour différentes émissions de France Télévisions, ou encore des shootings à Paris pour des publicités et tout a été suspendu du jour au lendemain. Comme beaucoup d’entreprises, nous n’avons aucune visibilité et nous attendons de pouvoir refaire nos plannings en fonction des futures directives légales, notamment concernant le nombre de personne par rassemblement. Au même titre que la restauration, nous sommes dans l’expectative, touchés de plein fouet. Comme nous avons également une filiale en Suisse, nous attendons les consignes de chaque gouvernement pour savoir comment reprendre nos activités.

Chez CAProd, on a vu la crise arriver en février, avec un CA réduit de moitié par rapport à janvier et en mars c’était proche du zéro. Juste avant les annonces officielles de confinement, nous avions décidé de passer en télétravail pour nos salariés permanents, puis en activité partielle. On a donc adapté notre routine, on reste en contact par visio ou téléconférence, entre nous mais aussi avec nos partenaires et nos clients. Comme nous n’avons quasiment plus d’activité marchande, on se concentre sur des impératifs administratifs, le montage de dossiers et tout ce qu’on avait laissé de côté. On informe aussi au mieux notre centaine d’intermittents. Mais on développe aussi des projets pour anticiper la relance… Les journées sont bien remplies et on reste très productifs avec mes associées du comité de direction pour mettre sur pied un plan de relance efficace.

En parallèle, nous avons décidé de laisser partiellement accessible LE D5, l’espace de travail partagé que nous avons créé sur la commune d’Allinges, afin de ne pas pénaliser les coworkers qui y ont installé leurs bureaux. Pour cela, nous avons appliqué des mesures d’hygiène strictes : masques à disposition, nombreux gels hydroalcooliques, désinfections régulières des poignées ou des objets communs comme les machines à café.”

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Qu’est-ce qui est le plus difficile, en tant que chef d’entreprise durant cette période ?

SMF : “Pas toujours facile de garder la tête froide face aux nombreuses difficultés qui s’ajoutent à la gérance du quotidien. Il faut penser à tout à la fois, se projeter, s’orienter dans l’imbroglio ambiant, envisager différents scénarios, bref, gérer la crise tout en étant en sous-effectif. Les banques sont dépassées et ne répondent pas toujours, les comptables sont débordés… alors que ce sont eux qui scelleront la sortie de cette crise ! Encore moins de sommeil que d’habitude, donc.... Mais au-delà de ça, ce qui m’inquiète vraiment, c’est la récession qui va arriver derrière. Il faut qu’on apprenne à surfer dès maintenant pour passer cette seconde vague ! Et pour ça, on est obligé de s’adapter dès maintenant, voire se réinventer, en ayant les yeux rivés sur nos indicateurs stratégiques, sur le prévisionnel de trésorerie, etc.”

Cette pause générale peut-elle revêtir des aspects salutaires ?

SMF : ”Je pense que oui. On avait jusqu’à présent la tête dans le guidon, avec des habitudes qui nous empêchaient de prendre du recul. Mais là, le temps est suspendu, le rythme est ralenti. Outre les aspects bénéfiques pour la planète (baisse de la pollution, activité sismique réduite, régénération), ça nous oblige à réfléchir. À remettre en question à la fois notre quotidien et la société à laquelle nous prenons part, mais aussi une question existentielle : quel avenir voulons-nous ?

Un sondage indique que 60% des gens sont favorables à une décroissance et un mode de consommation plus responsable. C’est un début de réflexion. On constate aussi à quel point le service public, et en particulier notre système de santé, est vital.

Sur un volet plus entrepreneurial et créatif, pour ma société, cette période nous permet également de prendre le temps de nous interroger sur les besoins, envies et frustrations du public, pour créer de nouvelles formes de narration qui vont s’adresser à de nouveaux spectateurs.

On voit que la télévision s’est transformée en outil pédagogique, j’espère que cette utilité perdurera sous d’autres formes et nous réfléchissons comment. La situation nous oblige à innover. Pour exemple, nous discutons avec le Centre National du Cinéma et avec la chaîne 8 Mont-Blanc sur un projet très innovant, qui s’appuie sur des conséquences du confinement.”

Quel effet le déconfinement (à partir du 11 mai) va t-il avoir sur votre activité ?

SMF: “Nous avons très peu de visibilité. Tous nos confrères s’accordent sur le fait qu’il n’y aura pas de reprise de la production avant quelques mois. J’ai peur qu’on doive repousser certains projets de plusieurs mois, à l’instar d’un documentaire en coproduction avec la Belgique que prévoyait notre département “Films”. C’est notre activité de videostorytelling qui reprendra en premier, progressivement, pour accompagner les entreprises dans leur communication narrative d'après crise. Nous serons attentifs aux besoins spécifiques. Notre département “Services”, qui travaille avec l’international, est lui aussi tributaire de la reprise du secteur, et notamment des différentes productions suspendues. Certains patrons de chaînes de télévision annoncent ne pas prévoir de grille de rentrée avant le mois de janvier.”

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Comment voyez-vous les prochains mois (“l’après”) ?

SMF : “La reprise va être lente. On a d’ores et déjà adapté notre business plan et revu nos objectifs à la baisse. Il va y avoir aussi un benchmarking un peu plus important, pour nous maintenir dans l’innovation et explorer de nouveaux marchés. Peut-être que la crise va rebattre les cartes, notamment en terme de précarité, modifier le visage de notre secteur où on faisait face à une concurrence de la part d’amateurs passionnés.”

Selon vous, quel impact cette crise sanitaire va t-elle avoir sur le Chablais (et le bassin lémanique) ?

SMF : “Ma première pensée va évidemment au secteur du tourisme et de l'hôtellerie-restauration, qui sont des locomotives économiques dans notre région mais qui s’annoncent sinistrés par cette crise. J’espère que les habitants privilégieront, faute de vacances à l’étranger, une consommation locale. Pourquoi ne pas en profiter pour redécouvrir notre territoire par un tourisme de proximité ?

Sur ce sujet, j’admire les initiatives qui font la part belle aux circuits courts et j’espère vraiment qu’on s’oriente vers un nouveau paradigme, plus responsable ! On parle de plus en plus d’une monnaie transfrontalière, qui favoriserait une économie locale. C’est vraiment cette proximité la clef : dépenser dans des offres locales, faire travailler les entreprises proches, privilégier le télétravail… Croisons les doigts pour qu’un grand nombre de personnes soient convaincus par ces initiatives.”

TeamCAProd

Un message ou une initiative à partager ?

SMF : “Durant la campagne du premier tour des élections municipales, notre département “Factory” avait interrogé chaque candidat à la mairie de Thonon dans une série de vidéos. C’est une de nos dernières productions avant le confinement et revoir leurs propos avec, en filigrane, la période de “sursis” liée au prolongement de l’entre-deux-tours, est assez intéressant ! Et sur l’aspect local, on admire les différentes initiatives citoyennes et ultra-locales qui fleurissent par des groupes sur les réseaux sociaux ou des solutions d’entraide entre voisins. À Allinges, il y a un numéro de téléphone qui a été mis en place pour permettre de faire correspondre les demandes et les propositions. Grâce à ça, des enseignants à la retraite donnent des cours par FaceTime et WhatsApp. Des élans de solidarité que la société avait un peu délaissé, mais dont on a besoin et qui sont beaux à voir.”

Où est-ce que l’on peut suivre vos actualités ?

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